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Peine de mort et philosophie de la punition

De l’âge du châtiment à l’âge de la réhabilitation des délinquants, réels ou supposés, l’humanité traverse un long parcours civilisationnel. L’abolition de la peine de mort s’inscrit dans une tendance historique à la transformation profonde de la philosophie de la punition et de ses applications juridiques.

L’humanité a connu bien des formes plus ou moins sauvages de la punition, que celle-ci fut « légitime », en ce sens d’être liée à des actes socialement jugés répréhensibles, ou fictivement « légitimés » par des préjugés tribaux, ethniques, nationaux, sexistes, gérontocratiques, raciaux, religieux, politiques ou autres.

Dans sa philosophie désormais primitive, quoique toujours vivace dans bien des milieux sociopolitiques, la punition, quel que fut son motif, vrai ou allégué, devait être directe, immédiate, douloureuse, infamante, handicapante ou mortelle.

Le monopole de la violence légitime par l’Etat, censé représenter la collectivité, retire progressivement à la victime d’un acte répréhensible ou à la foule qui s’en émeut le pouvoir de sanction directe, même si c’est pour se faire justice sur base supposée légitime.

Les progrès du règne de la loi et de l’indépendance de la justice formalisent, régulent et conditionnent la punition. Ceci tend à discipliner les émotions individuelles et collectives face aux crimes, même les plus odieux. La peine n’est plus immédiate, mais distanciée par rapport à l’acte incriminé. On y « perd » en assouvissement immédiat et à chaud du besoin de réparation ou du désir de vengeance individuelle ou collective. On y gagne en garantie d’équité, de recul raisonné et de droit de défense des accusés, désormais présumés innocents jusqu’à preuve de leur culpabilité.

Quant aux pulsions à infliger des douleurs, des handicaps ou des déshonneurs aux personnes jugées coupables, la tendance de fond à les abandonner. Bâtonner des enfants, même auteurs de bêtises jugées gravissimes, tend à être interdit. Flageller des femmes, raser leur chevelure, voire les enterrer vivantes, pour adultère ou pour atteinte au sacrosaint honneur parental ou marital n’est plus de mise.

De façon plus générale, les pénalités légales tendent à consister principalement en amendes et en privation de liberté. Autrement dit, la philosophie de la punition tend à consacrer le principe fondamental de l’inviolabilité de l’intégrité physique de la personne humaine, même accusée ou condamnée.

Tout châtiment corporel tend à être banni comme relevant d’une barbarie pédagogique, parentale, maritale ou judiciaire. La tendance universelle à l’interdiction et à la pénalisation de la torture va aussi dans ce sens. On ne légitime plus de sévisses infligées aux individus par le besoin d’en tirer des renseignements anticriminels, fussent-ils d’une importance capitale pour sauver des milliers de vies, comme cela peut être cas dans la lutte antiterroriste, par exemple.

Il est vrai que l’emprisonnement, en tant que privation de liberté, a longtemps été associé à des sanctions physiques plus ou moins avouées et assumées : privation sexuelle, malnutrition, crasse, exiguïté, exposition à la violence ou au viol par les geôliers ou les codétenus. Ne s’agissant après tout que de « bagnards » ou de « tôlards » tous ces « dommages collatéraux » de la détention carcérale ne paraissaient pas scandaleux et peu de gens s’en émouvaient.

Mais cette vision éculée de la peine privative de liberté est en recul : le monde carcéral s’humanise ; il se transforme en lieu de resocialisation, de requalification et de réhabilitation ; les peines privatives de liberté font de plus en plus place à des peines alternatives.

Reste cependant ce terme « peine » lui-même qui connote l’intention d’infliger une souffrance et constitue un vestige de la vieille philosophie pénale. Il faudra lui trouver une rechange terminologique congruente avec l’intention de réhabilitation et de réinsertion sociale marquant désormais le statut et les activités impératives ou facultatives assignées par les sociétés civilisées à leurs délinquants.

Or, la peine de mort reste l’atteinte suprême à l’intégrité physique des personnes. Elle est une négation du premier des droits de toute personne humaine : le droit à la vie. Contrairement au meurtre commis par un individu ou un groupe particuliers, sujets à des motivations viles ou à des troubles psychotiques, l’exécution capitale consiste à décider froidement, collectivement et en toute sérénité la mise à mort d’une personne humaine. En y recourant, une société affiche délibérément sa croyance que tuer peut être la « solution » à un quelconque problème de vie en société. Elle consacre l’idée que l’on puisse tuer dès lors que l’on a pour cela de « bonnes raisons ». Il ne reste plus aux criminels potentiels qu’à trouver leurs propres « bonnes raisons » pour passer aux actes, le cas échéants, le plus odieux.

C’est pour cela que l’abolition de la peine de mort ne permet pas seulement d’éviter tout risque d’erreur judiciaire à la conséquence irrémédiable qu’est l’exécution capitale. Elle ne permet pas seulement d’en finir avec le calvaire des couloirs de la mort et avec les risques de discrimination de fait face à la mort, pour cause de pauvreté, d’origine ethnique, de race ou autre, pouvant toujours biaiser et entacher les jugements et les octrois de grâce. L’abolition de la peine de mort a pour vertu que la société mette ses criminels avérés ou potentiel face à un modèle de civilité, de retenue et de respect de la vie humaine à vocation hautement éducative, dissuasive et réhabilitante. La lutte contre le crime, même le plus odieux, en recourant à la peine de mort table sur ce qu’il y a de plus hideux et de plus faible dans la société humaine : la violence sanguinaire et son corollaire, la peur absolue. La sauvegarde de la vie et de l’intégrité physique de toute personne humaine, fut-elle criminelle, table sur ce qu’il y a de plus noble dans cette même société : le respect d’autrui et l’espoir. Un criminel exécuté est fini, vite oublié et n’a plus de problème du tout ; même pas celui de méditer son acte criminel. Un criminel à la vie sauve peut toujours envoyer à tout criminel potentiel un message de repentir, de régénérescence morale et de réconciliation avec l’ordre social et juridique.

L’abolition de la peine de mort s’inscrit en harmonie avec la tendance historique universelle au respect de l’inviolabilité de l’intégrité physique de la personne humaine en toute circonstance. A moins de rechute grave et globale dans la vieille barbarie pénale, les différentes sociétés, chacune selon son rythme certes, ne pourront que souscrire à cette abolition. C’est une affaire de temps, certes, mais aussi de prise de responsabilité intellectuelle et de pédagogie sociale des élites et des masses porteuses de progrès civilisationnel.

Par M. Mohamed Berdouzi, membre du CCDH

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