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Participation de M Herzenni, Président du CCDH à la 9ème réunion biennale du Réseau des droits de l'Homme des académies et des sociétés savantes

Le Président du CCDH, M. Ahmed Herzenni, a participé à l'ouverture de la 9ème réunion biennale du Réseau des droits de l'Homme des académies et des sociétés savantes, tenue le 21 Mai 2009 à Rabat sous le Haut patronage de SM le Roi Mohammed VI Sous le thème "le rôle des académies et des sociétés savantes dans la promotion des droits de l'Homme".

Allocution de M Herzenni, à l'ouverture de la rencontre :

Mesdames, Messieurs,

Dans cette adresse inaugurale que vous me faites l’insigne honneur de me confier, je compte montrer les liens qui existent entre science et promotion des droits humains, au niveau de la pratique quotidienne, au niveau de la méthode et enfin au niveau philosophique.

Dans leur approche de réconciliation, l’Instance Equité et réconciliation et le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme ont eu à mobiliser les ressources, les méthodes et les techniques de plusieurs disciplines scientifiques, allant de l’histoire à la génétique. Ainsi, pour s’assurer de l’éligibilité des anciennes victimes de la répression à l’indemnisation financière, il fallait écouter ces victimes, mais aussi vérifier leurs déclarations, recouper les témoignages, parfois aller chercher des témoignages sur le terrain, comparer témoignages et documentation existante, stocker toute l’information recueillie, la traiter, avant de finalement prendre les décisions arbitrales requises, et calculer les indemnités. Tout cela, sans compter la restitution nécessaire du contexte historique des violations des droits humains, a exigé le recours intense aux procédés non seulement de l’histoire, mais aussi de la sociologie, de l’anthropologie, du droit, de la médecine, des sciences de l’information et de la documentation, de l’informatique, des mathématiques, au moins des mathématiques élémentaires. La psychologie également a été fortement sollicitée, surtout au moment des auditions publiques, soit pour aider des personnes parfois analphabètes, encore terrifiées par le souvenir des épreuves passées, à acquérir suffisamment de confiance en elles mêmes pour s’adresser en direct à des millions de compatriotes, soit pour pouvoir remédier immédiatement à des défaillances possibles pendant le déroulement même des auditions.

De la même manière, les sciences sociales en particulier ont été assez systématiquement mises à contribution dans la détermination des zones et des communautés qui méritaient de bénéficier d’un programme spécial de réparation collective ; dans la mobilisation et la formation de la société civile à la participation à ce programme et à sa gestion ; dans sa mise en œuvre enfin qui se déroule de nos jours.

Dans le domaine de l’élucidation de la vérité dans les cas de disparition forcée, et notamment lorsqu’il s’agissait d’identifier des restes de victimes de cette abominable violation des Droits de l’Homme - la plus abominable absolument sans doute – ni l’IER, ni le CCDH ne pouvaient naturellement se passer des services de la médecine légale, de l’anthropologie physique et de l’analyse génétique.

Enfin, pour élaborer les propositions de réformes à introduire dans le système légal du pays afin de garantir la non répétition des violations des droits de l’homme passées, le CCDH aussi bien que l’IER se sont grandement appuyés sur les différentes branches du droit.

On peut donc dire que dans pratiquement toutes leurs activités, l’IER et le CCDH ont fait – pour le CCDH il fait encore – un usage dense des sciences, principalement il est vrai et assez naturellement des sciences sociales, mais aussi, au moins subsidiairement, de quelques autres sciences réputées plus exactes. Cela suffit déjà à montrer que dans l’expérience marocaine comme dans toutes les autres expériences certainement, le lien entre droits humains et science est un lien très fort.

Mais laissez-moi vous dire qu’à la limite ce n’est pas cela le plus important, car après tout, quel est aujourd’hui le domaine de l’activité humaine où l’on peut se passer des services de la science ? Quel est le domaine de l’activité humaine où l’on n’use pas, et parfois l’on n’abuse pas, de la science ? Aucun pratiquement.

Il me semble donc plus intéressant de constater, au-delà, ou plutôt en deçà des liens d’usage , une proximité plus significative entre science et droits de l’homme, ou plus exactement promotion des droits humains, qui se situe au niveau de la méthode.

Dans la mesure en effet où la méthode scientifique comporte quatre moments fondamentaux : la conceptualisation des phénomènes, l’opérationnalisation des dimensions de chaque concept, la formulation des hypothèses et la vérification de celles –ci, on peut dire qu’on retrouve tous ces moments, à des degrés plus ou moins élevés de conscience et de systématisation, dans l’expérience marocaine de réconciliation et de promotion des droits humains.

Il a fallu d’abord préciser ce que l’on entendait par réconciliation. L’engagement dans une « chasse aux sorcières » visant à identifier et à punir les responsables individuels des violations des droits de l’homme passées étant exclue par la notion même de réconciliation, celle –ci devait elle pour autant se réduire à des embrassades et, au mieux, à des promesses de part et d’autre de mieux se comporter à l’avenir ? Les dirigeants du mouvement des droits de l’homme acquis au principe de la réconciliation, qui étaient en même temps les dirigeants du mouvement des victimes, s’insurgèrent contre cette interprétation de la réconciliation également. S’appuyant sur la théorie de la justice transitionnelle qui se développait à l’époque, ils firent valoir qu’une véritable réconciliation ne pouvait s’instaurer que si les victimes étaient indemnisées individuellement et collectivement et étaient réhabilitées et prenaient publiquement la parole ; que si grâce à la collaboration de tous la vérité était élucidée, notamment dans les cas de disparition forcée, et que si des réformes étaient introduites, en particulier dans le domaine de la justice, pour la rendre plus indépendante, et dans le domaine de la gouvernance sécuritaire, pour la normaliser.

Ce faisant, les pionniers de l’expérience marocaine en matière de réconciliation et de promotion des Droits de l’Homme déterminaient d’une manière non seulement équitable mais scientifique les dimensions incontournables du concept de réconciliation. Chacune de ces dimensions a été par la suite opérationnalisée de manière à permettre d’effectuer des mesures et d’entreprendre une mise en œuvre.

L’hypothèse principale était que si toutes les dimensions de la réconciliation étaient retenues et correctement mises en œuvre, non seulement il en résulterait une réconciliation effective mais le processus de démocratisation du pays en serait étendu, approfondi et renforcé, malgré l’état actuel des forces démocratiques qui sont faibles, dispersées et désorientées.

Cette hypothèse a maintenant été suffisamment testée, et les résultats sont je crois plus qu’encourageants. Il faut d’ailleurs souligner que le testage de l’hypothèse a été confié en grande partie à d’anciennes victimes, ce qui en soi constitue déjà une preuve, sinon d’impartialité, du moins de bonne foi des gouvernants, et de démocratisation. Mais en outre, les victimes, individuelles et collectives, ont adhéré au processus de réconciliation. Elles se sont exprimées et continuent de s’exprimer librement devant l’opinion publique. La vérité a été élucidée dans la plupart des cas. Une profonde réforme de la justice est attendue. Et dans la foulée les élections ne sont plus contestées quant à leur liberté et leur honnêteté. Les libertés fondamentales sont respectées. Un espace de dialogue social inclusif verra le jour dans un proche avenir. De grandes réformes sociétales ont été effectuées, telle la réforme du code de la famille et la réhabilitation de la culture amazighe. Tout cela et d’autres changements que je n’ai pas le temps de mentionner seront certainement consacrés à terme par une réforme constitutionnelle.

Comme dans n’importe quelle discipline scientifique, nous ne pouvons pas dire que les résultats attendus ont été atteints à 100%. Nous avons été particulièrement déçus par le manque de collaboration des concernés quant à l’élucidation de la vérité relative à certains événements qui se sont produits au lendemain immédiat de la proclamation de l’indépendance. Cependant, nous ne désespérons pas de faire quelque lumière sur ces événements, et dans ce but et avec l’aide de l’Union Européenne le CCDH lance bientôt un programme de recherche sur l’histoire du temps présent.

Mais mon propos n’est pas de vanter l’expérience marocaine en matière de réconciliation et de promotion des Droits de l’Homme. J’essayais simplement de montrer comment, dans le feu de l’action, et malgré ou peut être grâce aux brûlures de ce feu, cette expérience a été amenée, encore une fois plus ou moins consciemment, plus ou moins systématiquement, à se plier à une discipline proche de la discipline de la méthode scientifique.

Si elle a pu le faire avec plus ou moins de succès, c’est qu’au fond l’activité scientifique et la promotion des Droits de l’Homme obéissent à une même éthique : l’éthique de la rigueur et de l’humilité.

Comme l’activité scientifique, la promotion des Droits de l’Homme ne tolère pas le flou des notions, la démagogie, la manipulation par quelque force que ce soit et au nom de quelque valeur extérieure à elle –même que ce soit.

Comme l’activité scientifique correctement comprise, elle ne prétend pas à l’infaillibilité ; au contraire, fait d’être humains qui se mettent au service d’autres êtres humains, elle revendique sa vulnérabilité à l’erreur et la relativité insurmontable de ses performances, sachant que de toutes façons les droits de l’homme s’auto-génèrent et n’ont pas de fin ; mais ses acteurs, comme ceux de l’activité scientifique, s’engagent à toujours revenir au métier.

Le mot –clé a été prononcé : c’est celui de service des êtres humains. Et en effet, au-delà des services que peuvent se rendre mutuellement la science, d’une part, la promotion des droits humains, d’autre part ; au-delà même d’une éthique commune, ce qui ultimement lie ces deux démarches, c’est la participation du et au même projet : le projet humaniste. Mais de quel humanisme s’agit-il?

Il ya un humanisme, qu’on dira prométhéen, qui, misant sur les capacités de l’esprit humain et postulant, explicitement ou non, la supériorité de certaines franges de l’humanité, a conçu le dessein de dominer complètement la nature et de transcender la condition humaine. Cet humanisme là, inévitablement raciste, a permis à ses protagonistes d’accomplir des choses grandioses aussi bien dans le domaine de la science et de la technologie que dans le domaine des droits humains. Mais il a aussi généré le colonialisme, les guerres et l’inégalité à l’échelle planétaire. Surtout, au moment même où ses protagonistes croyaient toucher au but, au point de se percevoir désormais non plus comme des êtres humains « ordinaires » mais comme des mutants en quelque sorte, il rencontre ses limites. La nature se révèle moins docile, et moins inerte qu’elle ne leur semblait. Il s’avère que si l’on peut maitriser des processus scientifiques, la maitrise de leurs conséquences est une autre affaire. Le réchauffement climatique et l’apparition de pandémies inédites sont des illustrations éloquentes et à juste titre effrayantes de ce hiatus. Il est devenu manifeste par ailleurs que les modes de production et de consommation des nations dites les plus développées ne sont tout simplement pas soutenables, ni a fortiori généralisables, et ce au moment même où toute l’humanité réclame les mêmes droits pour tous les êtres humains.

Sans vouloir faire le prophète, il est clair que nous sommes en train d’assister à la faillite de l’humanisme prométhéen. Alors il serait temps de nous rallier autour d’un humanisme plus humble, plus sobre et plus fraternel, un humanisme simplement humain, qui a d’ailleurs toujours existé mais qui depuis quelques siècles a été occulté par l’autre humanisme, l’humanisme dominant et dominateur. Il ne s’agit pas de nier les capacités de l’esprit humain, ni de capituler devant la nature. Il s’agit encore moins de renoncer au bonheur des êtres humains, de tous les êtres humains. Mais ni les droits humains, ni le savoir, ne s’arrachent à une force extérieure. Pourquoi postuler une force extérieure, alors qu’il ne s’agit que de réaliser un potentiel que tout être humain a en lui ?
Aider chaque être humain à réaliser aussi pleinement que possible son humanité, voilà, me semble –t-il, ce qui devrait constituer la cause commune de la science et de la promotion des droits humains, et qui devrait suffire à leur gloire.

En l’année 2000, nous avons cru au Maroc, à un certain moment, que nous allions enfin devenir un pays producteur de pétrole. Sa Majesté lui –même l’annonça dans le discours du 20 Août. Ce qu’il dit alors à propos de la richesse entrevue du pays s’applique à mon avis parfaitement aux thèmes de la science et des droits humains. Il dit : « Nous soulignons que ce bienfait dont Dieu nous a gratifiés renforcera notre foi et notre sens de l’humain, et nous insufflera une énergie nouvelle pour redoubler d’efforts d’imagination, de persévérance, d’abnégation, d’entraide, de solidarité, et faire provision d’autres vertus telles que la droiture, la probité, la bonne éducation, le profond attachement à l’identité, aux institutions et aux valeurs sacrées, l’ouverture sur la civilisation contemporaine, la modération et la tolérance… ».

Merci de votre attention.

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