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La peine de mort et la dignité et liberté de l'être humain

Séminaire sur la Peine de mort : les 11 et 12 octobre 2008 Allocution de M. Driss El Yazami

En accord avec toutes les organisations de défense des droits de l’homme dans le monde et conformément aux récents développements du droit international des droits de l’homme, la peine de mort est en contradiction avec l’essence même des notions de dignité et de liberté humaines. Plus encore, elle a jusqu’à présent démontré son inutilité totale en tant que moyen de dissuasion. C’est pourquoi le maintien de la peine capitale ne peut se justifier ni par les principes ni par des considérations utilitaristes.

1- la peine de mort est en contradiction avec la dignité et la liberté de l’être humain

Dans toute société politiquement organisée, les droits de l’homme et la dignité humaine sont à présent universellement reconnus comme des principes supérieurs et des nomes absolues. La peine de mort contrevient directement à cette prémisse essentielle et se fonde sur une conception erronée de la justice.

La justice repose sur la liberté et la dignité : si un délinquant peut et doit être puni, c’est parce qu’il a librement commis un acte perturbateur de l’ordre social, c’est la raison pour laquelle les enfants ou les personnes souffrant de troubles mentaux ne peuvent pas être pénalement tenus responsables de leurs actes. Ainsi la peine de mort est-elle une contradiction dans les termes : au moment même de la condamnation, quand le criminel est tenu pour responsable et donc considéré comme ayant agi librement et consciemment, on lui dénie cette même liberté puisque la peine de mort est irréversible. En effet, la liberté humaine se définit aussi comme la possibilité pour chacun de changer et d’améliorer le cours de son existence.

L ‘irréversibilité de la peine de mort contredit l’idée selon laquelle les criminels peuvent être réhabilités et resocialisés. Ainsi contrevient-elle tout simplement aux notions de liberté et de dignité.

Dans les systèmes judicaires les plus sophistiqués, assortis des garanties les plus fiables, la possibilité de l’erreur judiciaire existe toujours. La peine de mort peut toujours aboutir à ce que des personnes innocentes soient exécutées. C’est exactement la raison pour laquelle aux Etats-Unis le Gouverneur Ryan avait décidé d’imposer un moratoire sur les exécutions en Ilinois, après avoir découvert que 13 détenus en attente d’être exécutés étaient innocents des crimes dont ils étaient accusés. C’est pourquoi en janvier 2003 il a décidé de commuer 167 condamnations à mort en peines de prison à vie. Le rapport de la Commission en charge du dossier soulignait en effet que « vu la nature et la faiblesse humaine, aucun système ne pourrait jamais être conçu ni construit de telle sorte qu’il fonctionne parfaitement et garantisse absolument qu’aucun innocent ne soit jamais condamné à mort ». Dans ce cas, disait le ministre de la justice français R. Badinter en 1981, « la société dans son ensemble, c'est-à-dire chacun de nous, au nom de laquelle le verdict a été rendu, devient collectivement coupable parce que son système judiciaire a rendu possible l’injustice suprême ». Pour une société dans son ensemble, accepter la possibilité de l’exécution d’innocents contredit directement le principe fondamental d’une dignité humaine inaliénable, et va à l’encontre de la notion même de la justice.

La justice est fondée sur les garanties procurées par les droits de l’homme, le caractère distinctif d’un système judicaire fiable est précisément l’existence des garanties prévues par les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme qui incluent les garanties résultant du droit à un procès équitable, comprenant par exemple le refus de preuves obtenues par la torture ou autres traitements inhumains et dégradants. Dans cette perspective, la FIDH est convaincue que le respect de ces garanties et le rejet de toute violence consacrée par la loi sont essentielles pour fonder la crédibilité de tout système pénal. La justice ne doit pas se fonder sur le hasard ou la richesse, spécialement quand sont concernés les crimes les plus graves et que la vie est en jeu. La vie d’un individu ne doit pas dépendre d’éléments aléatoires tels que la sélection du jury, la pression des médias, la compétence de l’avocat de la défense, etc. Le rejet de sentences inhumaines, au premier rang desquelles figure la peine de mort, contribue de façon décisive à édifier un système judiciaire sur des principes universellement acceptés, ou la vengeance n’a pas de place et dans lequel la population entière peut placer sa confiance.

La notion de « couloir de la mort » vise les conditions de détention d’une personne condamnée à mort pendant qu’elle attend l’exécution de la sentence. Ces conditions de détention sont souvent assimilables à des traitements inhumains et dégradants : isolement complet dans les cellules individuelles, incertitude quant au jour de l’exécution, manque de contact avec l’extérieur, y compris parfois avec les membres de la famille et l’avocat.

La justice diffère fondamentalement de la vengeance, or la peine de mort n’est qu’un vestige d’un système ancien, fondé sur la vengeance, selon lequel celui qui a pris la vie devrait subir le même sort. Mais alors, il faudrait aussi voler le voleur, torturer l’auteur de tortures, violer le violeur, etc. La justice s’est élevée au-dessus de cette notion traditionnelle de la punition en adoptant le principe d’une sanction symbolique mais proportionnelle au mal infligé : amende, emprisonnement, etc. Un tel principe préserve tant la dignité de la victime que celle du coupable.

De surcroît, il semble difficile de croire à l’argument selon lequel la peine de mort serait nécessaire pour les victimes et leurs proches. Assurément, dans un système judiciaire juste et équitable, le droit des victimes à la justice et la compensation est fondamental. La confirmation publique et solennelle, par un tribunal, de la responsabilité du criminel et de la souffrance des victimes, joue un rôle essentiel et se substitue au besoin de vengeance (« vérité judiciaire »). Néanmoins, répondre à cet appel à la justice par la peine de mort ne sert qu’à soulager les émotions les plus instinctives, et ne sert pas la cause de la justice et de la dignité de son ensemble, pas même celle des victimes en particulier. Paradoxalement, en effet, la dignité de la victime est mieux satisfaite si l’on s’élève au-dessus de la vengeance. Le statut de partie civile conféré à la victime dans le procès pénal contribue à répondre à son besoin impérieux d’être reconnue comme telle. Le fait de fournir aux victimes un soutien psychologique et une compensation financière contribue également à leur donner le sentiment que la justice a été rendue et que la vengeance privée n’est pas nécessaire et n’aurait rien apporté de plus. A la lumière de ces éléments, on peut conclure que la justification de la peine de mort par le besoin de vengeance des victimes et sans pertinence.

Enfin, on constate que la peine de mort est pratiquée de façon discriminatoire. Par exemple, aux Etats-Unis, où elle frappe tout particulièrement les minorités ethniques, ou encore en Arabie Saoudite, où les étrangers en sont majoritairement victimes.

2-La peine de mort est inutile

Parmi les arguments les plus souvent avancés en faveur de la PM figure celui de son utilité : la peine de mort est censée protéger la société de ses éléments les plus dangereux et agit de façon dissuasive à l’égard des futurs criminels. La démonstration a été plusieurs fois faite de l’inanité de ces arguments.

- la peine de mort protège – t –elle la société ? Il ne semble pas. Les sociétés qui prévoient la peine de mort dans leur législation ne sont pas mieux préservées du crime que celles qui ne le font pas ; de plus d’autres sanctions permettent d’atteindre le même but, et notamment l’emprisonnement : la protection de la société n’implique pas l’élimination des criminels. En outre, on peut avancer l’idée que les précautions prises pour éviter le suicide des condamnés à mort démontrent que l’élimination physique du criminel n’est pas la finalité principale de la peine de mort. L’enjeu paraît plutôt être l’application d’une sanction contre la volonté du criminel.

- En ce qui concerne l’exemplarité de la peine de mort ou d’autres châtiments cruels, l’efficacité de ces sanctions du point de vue de la dissuasion s’est toujours révélée un leurre. Toutes les études systématiques démontrent que la peine de mort ne contribue jamais à abaisser le taux de la criminalité, où que ce soit. Par exemple, au Canada, le taux d’homicide pour cent mille habitants est tombé d’un pic de 3,9 en 1975, un an avant l’abolition de la peine de mort à 2,41 en 1980. Pour l’année 2000, alors qu’aux Etats –Unis la police rapportait le chiffre de 5,5 homicides pour 100 000 habitants la police canadienne faisait état d’un taux de 1,8.

L’enquête la plus récente sur le sujet mené en 1988 par Robert Hood pour les Nations Unies et mise à jour en 2002, conclut en ce sens : « le fait que les statistiques (…) continuent à indiquer la même direction prouve de façon convaincante que les pays n’ont pas à craindre que la courbe de la criminalité ne subisse de changements soudains ni sérieux dans l’hypothèse où ils feraient moins confiance à la peine de mort »¹.

Et cela n’a rien de surprenant : les criminels ne commettent pas leurs forfaits en calculant la sanction possible et en prévoyant qu’ils subiront plutôt la prison à vie que la peine de mort. A la fin du 18éme siècle, Beccaria l’avait déjà noté : « il est absurde que les lois, qui sont l’expression de la volonté publique, qui haïssent et punissent le meurtre devraient elles-mêmes en commettre un et qu’afin de détourner les citoyens du meurtre elles décrètent elles-mêmes un meurtre public ».

¹ Roger Hood, The death penalty : A Worldwide Perspective, Oxford University Presse, Third edition, 2002, p.214

Enfin, il faut noter que la peine de mort est très souvent un baromètre pour mesurer la situation générale des droits de l’homme dans les pays concernés : elle s’avère être un indicateur fiable du niveau de respect des droits humains, comme c’est par exemple le cas à propos de la situation des défenseurs des droits de l'homme.

3- Arguments relatifs au droit international des droits de l’homme

L’évolution du droit international montre une tendance vers l’abolition de la peine de mort : ni le statut de la Cour pénale internationale ni les Résolutions du Conseil de Sécurité établissant les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ne comprennent la peine de mort dans leur arsenal de sanctions alors même que ces juridictions sont compétentes pour connaître des crimes les plus graves.

Des instruments spécifiques, internationaux et nationaux ont été adoptés qui tendent à l’abolition de la peine capitale : le second protocole facultatif au Pacte international sur l’abolition de la peine capitale : le second protocole à la Convention américaine des droits de l’Homme en vue de l’abolition de la peine de mort ( Organisation des Etats américains), le protocole 6 et le nouveau protocole 13 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ( Conseil de l’Europe). Les lignes directrices concernant la politique de l’Union Européenne à l’égard des pays tiers au sujet de la peine de mort adoptées par l’Union Européenne le 29 juin 1998, soulignent que l’un des objectifs de l’Union est de « travailler à l’abolition universelle de la peine de mort, ligne politique ferme sur laquelle s’accorde tous les membres de l’Union ». Plus encore, « les objectifs de l’Union européenne, sont, partout où la peine de mort est encore en vigueur, d’en appeler à un usage de plus en plus réduit et d’insister pour qu’elle soit pratiquée conformément à un minimum de standard (…). L’Union Européenne fera savoir que ces objectifs font partie intégrante de sa politique en matière des droits de l’Homme ». Enfin, la récente Charte européenne des droits fondamentaux dispose également que « nul ne sera condamné à mort, ni exécuté ».

Au niveau international, même si le Pacte international sur les droits civils et politiques prévoit expressément que la peine de mort est une exception au droit à la vie, tout en l’entourant d’une série de garanties spécifiques, le commentaire général adopté par le Comité chargé de l’interprétation du Pacte énonce très clairement que l’article 6, relatif au droit à la vie, « se réfère généralement à l’abolition dans des termes qui suggèrent fortement que l’abolition est souhaitable (…) toute mesure d’abolition doit être considérée comme un progrès dans la jouissance du droit de la vie ».

Qui plus est, dans sa Résolution 1745 du 16 mai 1973, le Conseil économique et social a invité le secrétaire général à lui soumettre, tous les 5 ans, un rapport analytique à jour sur la peine de mort. Dans sa résolution 1995/57 du 28 juillet 1995, le Conseil a recommandé que les rapports quinquennaux du secrétaire général couvrent aussi la mise en œuvre des mesures garantissant la protection des droits de ceux qui sont confrontés à la peine de mort².

Tous les ans depuis 1997, la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies appelait les Etats qui ont conservé la peine de mort à « établir un moratoire sur les exécutions, avec la perspective d’une abolition de la peine de mort »³.

Enfin, notons que le 8 décembre 1977, l’Assemblée générale des Nations Unies a également adopté une Résolution sur la peine de mort disposant que « l’objectif principal dans le domaine de la peine de mort est la restriction progressive du nombre d’infractions pour lesquelles la peine de mort peut être requise, jointe au souhait que cette peine soit abolie » ³’

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² ECOSOC resolution 1984/50 of 25 May 1984

³Ser notably resol. 2002/77, 2001/68, 200/65 and 1999/61

³’UNGA resol. 32/61, 8 Dec. 1977, para 1

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