Forum des droits de l'Homme du Festival Gnaoua : Edito de M. Driss El Yazami
Forum Création, liberté et égalité au défi du digital
Plus de 18 millions de nos compatriotes au Maroc sont aujourd’hui connectés et tout notre continent est en train de rattraper son retard, même si c’est à des rythmes divers selon les pays. Et même si certains gouvernements ont essayé et essayent encore de museler l’expression sur le monde virtuel, la liberté domine. Largement.
Une approche exagérément libérale veut que cette universalisation de l’accès au monde digital est automatiquement porteuse de vertus pour le citoyen-consommateur et potentiellement créateur aussi. Cet accès élargit à l’infini son horizon et lui permet d’atteindre sans limites informations, commentaires, analyses et innovations culturelles. Il lui permet aussi en théorie d’interagir sans censure préalable des divers groupes d’appartenance et des différentes autorités publiques. De s’épanouir sans les clôtures et les interdits de toutes sortes qui le bâillonnent d’habitude et entravent son épanouissement. Affiché ou caché sous les divers pseudonymes, cet internaute est le libre sujet de sa vie et des diverses communautés auxquelles il choisit d’adhérer pour un temps plus ou moins long. Et qu’il peut quitter sans aucun coût social ou politique ou éthique. Pour les promoteurs de la vision ici présentée, le marché veille et c’est à lui et à lui seul de réguler.
Une autre approche et c’est celle que nous avons choisi avec l’équipe du festival d’adopter est plus nuancée et à terme plus féconde à mon avis. Elle consiste à poser les opportunités que cette nouvelle révolution offre et de peser aussi les multiples défis qu’elle nous impose.
On ne peut en effet se contenter du chiffre global des connecté-e-s pour affirmer avoir réussi le premier défi, celui de l’universalisation de l’accès. Derrière ce chiffre, peuvent se cacher de grandes disparités économiques, géographiques et socioculturelles. Le fossé numérique n’est pas qu’une simple image et on a encore besoin de connaître finement les tranches de publics, leurs habitudes et leurs usages des nouveaux espaces de liberté et des jungles naissantes. Peut-on laisser tous les publics et notamment les plus jeunes et les plus fragiles, seuls face à ces tsunamis virtuels, sans apprentissage de quelques règles simples d’usage, de navigation dans les multitudes d’offres et de discernement raisonné entre les divers « tubes », alimentés à flux tendus ?
Le deuxième défi est bien celui des contenus. L’argumentaire le précise de manière informée : ici aussi, des créateurs ont investi sans hésiter ce nouveau monde et développent sans complexes une offre culturelle riche et diversifiée. Mais on ne peut éviter le constat de l’immense domination des pays avancés sur ces contenus. Cette hégémonie semble si écrasante et de jour en jour incontestable, dominant quantitativement le monde, mais insidieusement imposant ses codes et ses règles, y compris esthétiques. Devons nous nous y rallier sans barguigner ou là aussi, comme dans le domaine des droits de l’Homme, nous battre pour un universalisme aux couleurs du monde et de ses diversités ?
Le troisième défi est bien celui des politiques publiques. Que doivent faire les gouvernements sans empiéter sur la liberté des créateurs ? Où commence leur responsabilité et où doit s’arrêter leur intervention ? Quels modes de régulation doivent-ils mettre en place sans attenter aux libertés fondamentales ?
Un nouveau monde se fait ainsi jour devant nos yeux et à notre portée, riche de révolutions sans aucun doute plus amples que celles que l’imprimerie puis la machine à vapeur ont suscités. Il nous appartient d’en être aussi les inventeurs.